[COLLOQUE] Quelle place pour l’animal dans nos vi(ll)es ?
Parfois, il est bon de prendre un peu de recul. De se réserver des moments de réflexion et d’échanges pour continuer à faire avancer la cause animale. Le 9 octobre 2024, le refuge SPA de Bayonne et l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA) ont réuni des experts en droit animalier (magistrats, juristes, chercheurs, forces de l’ordre…) au cours d’un colloque interdisciplinaire qui a permis de débattre de la liberté animale et de son statut juridique dans divers contextes. Voici, concrètement, ce qui en est ressorti.
Oscar, Félix, Cécilia et la jurisprudence des animaux !
Jean-Pierre Marguénaud, Professeur de droit animalier a présenté des “Fragments d’un bestiaire jurisprudentiel” en montrant le rôle clé de la jurisprudence dans l’évolution du droit animalier, et affirmant que les juges sont au cœur de cette transformation.
Il a illustré son propos par des cas emblématiques français et sud-américains :
- Oscar (chat torturé à mort) : c’est la première fois qu’un juge a décidé de condamner l’auteur à 1 an de prison ferme assortie de l’interdiction à vie de détenir un animal, en 2014.
- Lana (décision de 2024 sur l’indemnisation du préjudice de l’animal lui-même, victime d’actes de cruauté de l’homme)
- Lunus (cheval électrocuté) : ce cas a permis la reconnaissance et l’indemnisation du préjudice moral lié au décès de son animal (en 1962)
- Baby et Népal, deux éléphantes en captivité à Lyon diagnostiquées à tort de tuberculose pour justifier leur euthanasie abusive et sauvées par la décision rendue en 2012 (note de la rédaction : elles furent ensuite accueillies dans un grand parc par… la princesse Stéphanie de Monaco!).
- Félix le chien, dont la mort en 1956 a permis de se demander s’il était possible de faire inhumer son animal de compagnie dans le caveau familial à la demande de son maître.
- Le professeur Marguénaud a aussi évoqué la province française des îles Loyauté, où les requins et tortues ont été reconnus comme des entités juridiques disposant de droits, avant que cette disposition ne soit annulée par le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie. Ce précédent ouvre néanmoins la voie à une reconnaissance future des droits des animaux dans le droit civil. Sa conclusion a souligné l’importance de la jurisprudence pour élever le statut et la protection des animaux.
- Estrellita, une femelle singe, pour qui la Cour constitutionnelle équatorienne a reconnu, en 2022, pour la première fois dans ce pays, que les animaux peuvent, même individuellement, bénéficier des droits de la Nature et se prévaloir de droits tels que le droit à la vie ou à l’intégrité physique.
- Cecilia, une chimpanzée en Argentine, se voyant reconnaître (en 2017) un droit à la liberté en vertu de l’Habeas corpus interdisant l’emprisonnement arbitraire : elle fut libérée d’un zoo pour être transférée dans un sanctuaire, permettant la reconnaissance d’une liberté qui était auparavant uniquement réservée aux humains.
Parole de Procureur !
Libertés et interdits
Christophe Amunzateguy (Procureur de la République) a détaillé les démarches judiciaires pour traiter les cas de maltraitance animale, insistant sur l’importance de fournir des dossiers avec des preuves solides, en déplorant le manque de moyens, tels que les structures d’accueil et l’absence d’obligation pour les vétérinaires de signaler les abus (contrairement à la loi québécoise par exemple). Il demande une plus grande spécialisation des vétérinaires afin qu’ils puissent établir des diagnostics clairs concernant les maltraitances exercées contre les animaux, et une réévaluation des sanctions pour des peines plus adaptées.
Le point de vue des universitaires
Libertés animale et religieuse
Kiteri Garcia (Professeure à l’Université de Pau) a ouvert la journée en exposant les tensions entre liberté religieuse et bien-être animal, citant les décisions récentes de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur l’abattage rituel, ayant permis aux États d’imposer des normes plus strictes pour limiter les souffrances animales, reflétant ainsi une évolution juridique vers un équilibre entre respect des droits religieux et protection animale.
Violences animales et familiales
François-Xavier Roux-Demare (Doyen de la Faculté de droit et responsable du Diplôme de droit animalier à l’Université de Brest) a exploré les liens entre violences animales et familiales. Il souligne qu’environ 68% des Français voient leurs animaux comme des membres de la famille (étude IFOP, 2021 commandée par la Fondation 30 Millions d’Amis), ce qui intensifie la perception de la violence faite aux animaux. Il précise que 30% des victimes de violence sexuelle reproduisent ce comportement, impactant également les animaux domestiques. En outre, si la zoophilie est interdite depuis 2004 en France, la persistance de la légalité des sites zoopornographiques met en exergue une incohérence législative qui soulève des questions éthiques et juridiques cruciales quant à la protection des animaux et à la prévention des abus. Ce cycle de violence intergénérationnel et inter-espèces met en évidence la nécessité d’adopter une approche transversale pour traiter ces problématiques. En effet, la lutte contre les violences envers les animaux ne peut être dissociée de la lutte contre les violences envers les humains.
Liberté d’entreprendre et animaux d’élevage
Adrienne Bonnet (Professeure à l’Université de Pau) a soulevé que contrairement à la protection de l’environnement, qui est reconnue et donc protégée par la Constitution française depuis 2005, la protection animale ne bénéficie pas de ce statut constitutionnel. Pourtant, cette reconnaissance constitutionnelle renforcerait juridiquement la protection animale face à la liberté d’entreprendre, ce qui apporterait un nouvel équilibre entre la liberté économique (élevage, par exemple) et le bien-être des animaux.
Liberté numérique et animale
Laura Daydie (Juriste pour l’ONG Animal Cross) a souligné l’impact des réseaux sociaux et des outils numériques sur la cause animale, tant pour sensibiliser le public que pour dénoncer la maltraitance. Elle dénonce les dérives des réseaux sociaux, où des vidéos d’animaux maltraités ont pu faire le buzz, et plaide pour une restriction de certaines pratiques en ligne pour protéger la dignité animale.
Bien-être animal et bilan international
Sabine Brels (Docteure en droit animalier) a exposé l’évolution mondiale du droit en matière de bien-être animal. Elle a souligné les progrès de l’Union européenne, précurseur en matière de normes strictes, bien que toujours limitées, dans des domaines comme l’élevage ou le transport. Malgré l’augmentation des lois anti-cruauté et pro-bien-être animal à travers le monde (⅘ des pays du monde disposent de telles lois), elle déplore les problèmes d’application comme les disparités entre pays, ainsi que les limites de ces lois qui ne protègent que 5% de la totalité des animaux sentients. C’est pourquoi elle appelle à l’adoption d’un Traité international sur le bien-être et les droits des animaux pour renforcer leur protection à l’échelle mondiale. En abordant sérieusement des problématiques transversales majeures comme l’élevage intensif, le fait de mieux protéger les animaux domestiques et sauvages permettra aussi de mieux protéger la santé humaine et environnementale.
Concept de liberté animale et droit animalier
François-Xavier Roux Demare (Doyen de la Faculté de Droit de Brest) s’est appuyé sur la répugnance naturelle à la violence envers autrui pour mettre en lumière l’impact de l’exposition directe des enfants à des scènes de violence animale, notamment lors d’événements comme les corridas ou la chasse. Dans ces contextes, les enfants sont confrontés à des animaux en situation de souffrance extrême, jusqu’à leur mise à mort, ce qui peut influencer leur perception de la violence et de la souffrance. Il a ainsi évoqué le débat sur les effets psychologiques de ces expositions précoces à la violence, qui peuvent soit traumatiser, soit normaliser des comportements violents en désensibilisant voire en incitant les jeunes spectateurs à reproduire cette violence. Il a montré le cas de jeunes amenés à la chasse par leurs ascendants et encouragés à traquer et à tuer des animaux.
Ce que disent les professionnels et les associations
Joëlle Turcat, Présidente d’Assistance Animaux Europe – SPA de Bayonne, Administratrice de la CNDA, organisatrice du colloque, a souligné l’importance de ces rencontres interdisciplinaires et de ces débats pour co-construire un avenir meilleur pour les animaux et faire progresser la protection animale. Il s’agissait de la 3ème édition de ce colloque et chaque année, les débats vont plus loin, les participants sont plus nombreux.
Sabine Brels, Présidente fondatrice de World Animal Justice a présenté la mission de son ONG internationale pour la justice animale mondiale qui vise à (1) protéger les droits fondamentaux des animaux (vivre, être libres, être bien traités) et (2) condamner les “crimes contre l’animalité ” de manière comparable aux crimes contre l’humanité en droit pénal international.
Benoît et Valérie Thomé, Co-Présidents de l’ONG Animal Cross ont plaidé pour la mise en place d’espaces de libre évolution de la nature et des animaux avec un argumentaire scientifique.Valérie Thomé a rappelé l’importance de protéger les petits animaux et dénoncé la “légitimation” de l’extermination de prédateurs comme le loup et le lynx sous l’effet de “l’écologie de la peur”. Moins de 1% des territoires français métropolitains bénéficient d’une forte protection, même dans les réserves naturelles où certaines exploitations restent possibles. Elle a évoqué la Stratégie nationale et européenne pour la biodiversité pour 2030 et a distribué des exemplaires de leur livre Article Zéro.
Sabine Fghoul, Présidente de la Confédération Nationale Défense de l’Animal (CNDA) a présenté le nouveau projet associatif de cette confédération presque centenaire : “Les 4F” (Fédérer les refuges indépendants, les aider à se Financer, à Former leurs équipes et à Faire savoir le travail phénoménal accompli).
Sabine Fghoul estime qu’il faudrait professionnaliser le bénévolat. Elle souligne les défis liés à l’application des lois de protection animale, expliquant que, contrairement aux fourrières subventionnées, les associations ne reçoivent pas de soutien financier de l’État. Elle a présenté les “4F” du programme associatif de la CNDA, lancé en novembre 2023 :
- Fédérer les associations avec une webradio, un nouveau magazine, un réseau d’ambassadeurs régionaux (nouveautés 2024) et un Tour de France des refuges
- Former via une Académie en ligne, gratuite et disponible 24/7 et à des webinaires mensuels
- Financer grâce aux dons et à des solutions mutualisées et à des distributions gratuites d’aliments pour chiens et chats (plus de 250 tonnes en 2024)
- Faire-savoir les efforts des 270 associations membres, qui accueillent 200 000 animaux chaque année, en s’adressant aux médias, aux pouvoirs publics, au grand public…
Jérémy Sansemat (salarié de la SPA de Bayonne) et Argitxu Elissagaray (éducatrice canine prestataire et bénévole du refuge) ont fait part des difficultés engendrées par la réglementation, essentiellement par les arrêtés municipaux qui limitent les possibilités de laisser un chien en liberté dans l’espace public.
Argitxu a expliqué que cette réglementation est une entrave au respect des besoins fondamentaux de l’espèce canine et engendre des problématiques dans ses pratiques professionnelles. Les intervenants sont favorables à la multiplication d’espaces de liberté pour les chiens afin de leur permettre d’exprimer leur besoin d’exploration et de déculpabiliser leurs référents humains qui souhaitent travailler leur éducation de façon bienveillante. Ils souhaiteraient que des textes de loi viennent imposer aux agglomérations urbaines de prévoir des espaces de “cani-accueillance” afin que cela ne soit plus soumis au bon vouloir des élus. En complément, Jérémy a décrit le quotidien au refuge avec des chiens présentant des comportements difficiles, mentionnant les défis financiers, notamment quelque 180 000 euros de frais vétérinaires annuels pour 700 animaux. Les chiens, malgré les sorties quotidiennes, sont hébergés en boxes, soulevant la question de leur bien-être et de leur droit à une vie plus libre, ce pourquoi le refuge a souhaité inviter Olivia Hellin, l’intervenante suivante.
Olivia Hellin, fondatrice de I Love My Dog a présenté son refuge à Hossegor, où les chiens vivent en liberté dans un parc de 5 hectares. Cette approche de réhabilitation en meute vise à préparer les chiens pour l’adoption en créant un environnement sain. Le financement provient de dons privés et d’une pension parallèle. Elle souhaite étendre ce modèle en France pour réduire les euthanasies tout en créant des emplois et des formations autour du bien-être animal.
Armandine Albert et Lison Gevers, responsables chez Ultra Premium Direct ont parlé de leur engagement entrepreneurial pour la cause animale. La Fondation Ultra Premium Direct, affiliée à l’association “1% pour les animaux”, finance des projets de protection animale en France, comme le 3677 (numéro national SOS maltraitance animale), lancé en juin 2024.
Le mot de la fin
Ce colloque à Bayonne a mis en lumière la complexité juridique et éthique de la protection animale et a rappelé l’importance d’appliquer les lois en vigueur tout en renforçant les moyens de leur application pour garantir une meilleure protection des animaux. Ces échanges interdisciplinaires entre juristes, chercheurs, magistrats, activistes et professionnels de terrain, ont souligné le besoin d’une formation accrue pour tous les acteurs de la protection animale et de la réponse pénale, afin de mieux comprendre et traiter les cas de maltraitance.
Cette journée a également permis de partager de bonnes pratiques et des solutions innovantes pour améliorer la protection des animaux, tant en matière de droit que dans les actions de terrain. La multiplication de telles initiatives dans les municipalités françaises semble ainsi essentielle afin de contribuer à une société plus respectueuse et plus protectrice du bien-être des animaux, en théorie comme en pratique.
Le colloque en quelques phrases-clefs
Kiteri Garcia, Professeure à l’Université de Pau :
La réglementation de l’abattage rituel par la CEDH et la CJUE montre que le droit évolue pour trouver un équilibre entre liberté religieuse et protection animale.
François-Xavier Roux-Demare, Doyen de la Faculté de droit, Université de Brest :
La forte association des animaux de compagnie à la famille nécessite une législation qui protège les animaux contre la violence dans le cadre familial.
Christophe Amunzateguy, Procureur de la République :
La lutte contre la maltraitance animale doit s’accompagner de moyens, incluant des structures d’accueil et une expertise spécifique des vétérinaires pour diagnostiquer les maltraitances et les dénoncer.
Adrienne Bonnet, Professeure à l’Université de Pau :
Un juste équilibre est essentiel entre la liberté d’entreprendre et le bien-être animal, même si ce dernier n’a pas encore de reconnaissance constitutionnelle en France.
Laura Daydie, Juriste pour Animal Cross :
Le numérique, tout en sensibilisant, doit également respecter la dignité animale en limitant les contenus de maltraitance virale tout en continuant à sensibiliser à l’importance de protéger les animaux et le vivant.
Sabine Brels, Présidente de World Animal Justice :
La protection animale doit être globale ; un Traité international est nécessaire pour préserver les droits des animaux et lutter contre les crimes envers l’animalité.
Joëlle Turcat, Présidente de Assistance Animaux Europe, SPA de Bayonne :
Nos rencontres sont indispensables pour co-construire un avenir plus respectueux pour les animaux et avancer dans le domaine de la protection animale.
Jean-Pierre Marguénaud, Professeur de droit animalier :
Les juges, en tant que ‘ministres du sens’, sont au cœur de l’évolution du droit animalier ouvrant la voie aux droits des animaux vers une protection juridique accrue.
Sabine Fghoul, Présidente de la Confédération Nationale Défense de l’Animal :
Le programme 4F vise à fédérer, former, financer, et faire-savoir les efforts de notre confédération pour être au premier plan de la protection animale en France d’ici 2028, année de notre centenaire.
Jérémy Sansemat et Argitxu Elissagaray, salariés à Assistance Animaux Europe, SPA de Bayonne :
Le bien-être et la liberté des chiens dans les refuges et dans la cité en général pourraient devenir un sujet de société et une réflexion devrait être engagée par le législateur pour répondre aux besoins de l’espèce canine plutôt que reposer uniquement sur la réglementation municipale.
Olivia Hellin, Gérante de I Love My Dog :
Offrir aux chiens abandonnés un environnement libre et en groupe leur permet de retrouver leur essence, atténue le stress de leur prise en charge et prépare des adoptions sereines.
Armandine Albert et Lison Gevers, Responsables chez Ultra Premium Direct :
Le soutien de la cause animale en France passe par des engagements concrets comme notre financement de la ligne unique 3677 SOS maltraitance animale.